Pour mieux connaître la Sibérie, la voir autrement que comme une surface de neige parsemée de camps de prisonniers... Quelques articles, films et livres de référence pour sortir de la grisaille présumée de l'hiver sibérien et découvrir que la région a aussi des couleurs et un été. Un été même assez chaud dans les zones sud occidentales ! Quelques élements donc pour commencer à se faire une culture moderne de la Sibérie.

Un film tourné en Sibérie : AGA, de Milko Lazarov.

Sortie du film : 21 novembre 2018.

« Aga » mis en scène par Milko Lazarov, un réalisateur bulgare, est le premier film étranger réalisé intégralement en Iakoutie. En ce sens il était très important pour nous d’en faire la chronique. C’est pourquoi nous remercions Ophélie Rebelo, d’Arizona Distribution, de nous avoir proposé de contribuer, à notre modeste niveau, à la sortie du film.

« Aga » n’est pas un film d’action, comme on a l’habitude de nommer bien des films, mais on pourrait dire qu’il est plutôt un film d’activité. C’est peut-être pour cela que certains spectateurs, dans les premières minutes du film, ont cru qu’ils regardaient un documentaire. En effet, dans ce désert blanc d’une des régions les plus froides de Sibérie, la vie des deux personnages consiste à entretenir leur survie dans un univers hostile, bien que magnifique, une survie qui repose non pas sur des individus, mais sur une « famille ». Nanouk, le protagoniste, dira à un moment « les jambes sont comme les membres d’une même famille. Elles ne peuvent pas se passer l’une de l’autre ». Une vision du monde qui n’est pas exagérée dans ce monde de froid, de neige, de glace où l'animal sauvage, et donc fragile lui-aussi, est le seul moyen de subsistance. Dans ce monde il faut que chacun occupe sa place, une place indispensable à la survie du groupe. Or, dans et autour de la yourte en peau qui forme leur centre vital, il n’y a plus qu’un vieil homme, une vieille femme et leur chien, - quant auparavant il y avait eu une communauté et ses troupeaux de rennes. Autant dire que la survie ne tient qu’à un fil puisque la communauté s'est dispersée, les rennes ont disparu et l’unique fille du couple s’est enfuie de la cellule familiale pour aller vivre en ville. Une démission dont le père garde une forte et muette rancune, et dont le couple souffre comme une blessure jamais refermée.

Le début du film nous fait éprouver cet univers et nous démontre à quel prix et à quelles conditions la vie arrive à tenir. Chaque « activité » doit être partagée, chacun est indispensable à l’autre. Or les risques de leur solitude sont encore accrus par la vieillesse qui s’insinue : l’un commençant par perdre la mémoire, l’autre étant atteint d’un mal sombre dont il a de plus en plus de mal à dissimuler les effets.

Le film est tourné dans un format panoramique qui met en valeur ces magnifiques grands ensembles où la terre enneigée et le ciel se confondent, et où les traversées des acteurs font penser à un vibrant coup de pinceau sombre. Le réalisateur a même décidé d’augmenter la largeur du cadre au maximum, laissant visible toute la fenêtre de la caméra, d’où ce cadrage aux bords arrondis : « il vaut mieux avoir les yeux grands ouverts dans le Nord, nous avons donc ouvert le cadre au maximum » commente Milko Lazarov. Pour la vérité des personnages, le réalisateur a choisi pour le rôle de Sedna, Feodosia Ivanova, une Iakoute comme les personnages du film, actrice non professionnelle vivant au cœur de la taïga où elle s’occupe elle-aussi d’animaux. Ses gestes sont sûrs et naturels, son jeu retenu et profond, comme celui d’ailleurs de Mikhaïl Aprosimov, dans le rôle de Nanouk qui, malgré une longue carrière au théâtre de Rybinsk, nous offre un jeu d’une économie et d’une justesse bouleversants.

Autour de la vie de ces deux personnages, de leurs activités quotidiennes proches du documentaire, va peu à peu se développer un univers symbolique fait de signes, d’apparitions, de rêves prémonitoires constituant une symbolique proche des contes des sociétés aborigènes. Milko Lazarov ne cache pas dans une interview s’être inspiré d’une légende indienne d’Amazonie pour le rêve de Sedna dont la fin va se trouver prendre une dimension saisissante lorsqu’une vue aérienne, dans le dernier plan du film, nous fera découvrir l’immense trou béant d’une mine de diamants. C’est ainsi que l’intimité des deux personnages finit par prendre une dimension cosmique voire universelle. Car ce conte évoque tous les dangers qui pèsent aujourd’hui sur l’Humanité : la menace sur le règne animal et notamment sur des espèces vitales pour certains peuples, le réchauffement climatique et autres menaces conséquentes à cette nouvelle ère géologique caractérisée par l’influence majeure de l’homme, l’anthropocène.

Ce film donc, qui ne manquera pas de nous éblouir par la beauté de ses plans, qu’ils soient de blancs et de bleus à l’extérieur, ou de subtiles variations de marrons et d’ombre à l’intérieur de la yourte, interroge le monde d’aujourd’hui dans ce qu’il peut avoir d’irrémédiable dans les destructions qu’il opère. Par la mise en scène de ce qui semble être le dernier couple d’un monde, il interroge aussi les fondements de la relation des êtres au cœur du couple ou de la famille. Comme Flaherty le faisait il y a presqu’un siècle, Milko Lazarov est allé se confronter à l’une des plus rigoureuses régions habitée du globe pour y mettre en scène un monde fragile, reposant sur tout le savoir-faire d’êtres réussissant le miracle de survivre dans un monde aussi hostile. La mort de Nanouk, un an après la sortie de « Nanouk l’Esquimeau », avait confirmé la réalité de la menace pesant sur lui, une menace que reprend Milko Lazarov pour lui donner une dimension plus universelle, faisant de son conte métaphysique une métaphore des dangers planant sur l’Humanité.

Prix :
Berlin 2018 : Sélection Officielle HC
Cabourg 2018 | Grand Prix
Sarajevo 2018 | Meilleur Film
Téhéran 2018 | Meilleur Film

Christian Garcin, Tanguy Viel, Une escale à Novossibirsk.

Christian Garcin et Tanguy Viel sont en train de faire un tour du monde sans avion. Partis par l'ouest en paquebot, ils ont poursuivi en train, bus, d'Amérique en Chine et de Chine en... Sibérie bien sûr ! C'est là que nous les avons rencontrés, lors de leur passage à Novossibirsk. Voir notre blog à ce propos.

Reportage : Lac Baïkal et Bouriatie

Dans le cadre de son association "Comte Baltique Amour", Valentine Grosjean poursuit sa volonté de présenter des régions mal connues de Russie qu'elle a visitées. Après la région d'Altaï (ci-dessous), la région du Caucase Russe (Tchétchénie, Ingouchie, Daghestan), elle poursuit par la région Est du lac Baïkal. Philippe B. Tristan signe le montage et la réalisation de ce film.

Christian Garcin : Le Lausanne-Moscou-Pékin

Le livre de Christian Garcin “Le Lausanne-Moscou-Pékin” part d’un pari de mêler une exploration littéraire à un voyage dans l’espace. Le point de départ en étant le poème de Cendrars : « La prose du transsibérien et de la petite Jehanne de France ». L’auteur va confronter à ce voyage imaginaire sa traversée de Russie jusqu’à la Chine pendant le mois de décembre 2013. Il s’agit donc d’un ensemble de chroniques tentant de relier l’année 1913 où Cendrars écrivait son poème en prose et, cent ans plus tard, cet hiver 2013 où Christian Garcin s’embarque avec une équipe de journalistes suisses dans le Transsibérien.

Ce voyage associe donc une réflexion sur un certain nombre de textes écrits sur la Russie, littéraires et documentaires, et la description de ce voyage en train sur 8 fuseaux horaires. On y apprend beaucoup de choses puisque le texte confronte en permanence lectures et réalité vécue, du souvenir des camps aux découvertes archéologiques majeures (princesse d’Oukok et homme de Denisova), de quelques moments historiques évoqués dans la magnifique BD « Corto Maltese en Sibérie » et développés ici à l’occasion de la traversée de l'ancien Empire d'extrême-orient, sans oublier l’étonnant contraste entre Russie et Chine où l'écrivain-voyageur va terminer son long voyage en train.

C’est un livre agréable à lire, rapidement, qui revêt un caractère précieux sans être abscons et qui pourra être un excellent préambule pour ceux qui rêvent de découvrir la Russie par le biais du Transsibérien.

Christian Garcin : "Pourquoi je me suis intéressé à la Sibérie"

Christian Garcin a beaucoup écrit sur la Sibérie, La Piste mongole, 2009 ; Les Nuits de Vladivostok, 2013 ; Du Baïkal au Gobi, 2008 ; Ienisseï, 2014 ; Le Lausanne-Moscou-Pékin, 2015 ; Les papillons de la Léna - tous ces livres traitent de la Sibérie. Nous avons donc demandé à l'écrivain de nous parler des raisons qui l'ont amené à se rendre en Sibérie pour s'en inspirer. Voici sa réponse :

Cédric Gras, Vladivostok. Neiges et moussons

Comme son titre l’indique, le livre de Cédric Gras, préfacé par son ami Sylvain Tesson, concerne Vladivostok et ses environs. La première chose que révèle ce livre est l’imprécision du terme de Sibérie. En effet, Cédrick Gras à plusieurs reprises oppose la Sibérie avec la région où il a habité pendant dix ans, l’Extrême-Orient russe. L’Extrême-Orient russe est-il distinct de la Sibérie ? Pour certaines cartes visiblement oui, lesquelles font s’arrêter la Sibérie au lac Baïkal ou au fleuve amour. C'est une de celles-là qui figure au début du roman de Cédric Gras. Pourtant Wikipedia est clair : la Sibérie, « Située dans l'est de la Russie, (…) s’étend de l'Oural à l'ouest jusqu'à l'océan Pacifique et de l'océan Arctique au nord jusqu'aux monts Altaï, au nord du Kazakhstan et aux frontières mongoles et chinoises ». Comment se peut-il que l’on trouve des points de vue si contradictoires ? Cela pose des questions de fond. Par exemple, si l’on s’en tient à la carte publiée au début de son livre par Cédric Gras, la Kolyma, capitale du Goulag, ne serait pas en Sibérie ! Cela pourrait être à l’avantage de la Sibérie, lui permettant de se décharger des horreurs commises dans les camps du Goulag, et notamment ceux de la Kolyma où les prisonniers russes arrivaient par milliers dans des bateaux partis de Vladivostok…

Dans ce fatras de contradictions venus de milieux semble-t-il autorisés, nous ne savons pas si Cédric Gras a été un francaisensiberie ou non. Tant pis, nous parlerons quand même de son livre « Vladivostok. Neiges et moussons » ! Un livre qui nous fait pénétrer dans l’intimité d’une ville que l’on connaît peu. Même si Christian Garcin en fait le décor de son roman "Les nuits de Vladivostok", cette vision qu’en donne Cédric Gras a la précision des dix ans que l’écrivain a vécus dans cette ville.

Désigné pour y créer une Alliance Française, le jeune volontaire va nous raconter les aléas de ses débuts de Directeur en charge d’ouvrir une nouvelle tentacule de la diplomatie française. Il y raconte aussi les fastes d’un festival de cinéma du bout du monde, - et puis son expérience des alentours, sa confrontation aux mentalités locales, avec ce qu’elles ont de mieux, mais pas trop souvent avec ce qu’elles ont de pire. On le comprend, étant donné que, d’habitude, c’est plutôt l’inverse. Mais on aurait espéré que la vie entre davantage dans ces pages. Les points de vue sont bien choisis mais on s’arrête toujours en amont de là où le corps surgit, l’inconscient, les malentendus, les inévitables hiatus où l’on se prend les pieds plus fatalement que dans une bouche d’égouts laissée béante… Le résultat en est une impression un peu frustrante d’un discours trop serré dans son costume diplomatique. Un discours qui nous donne envie ni d’aller explorer la Sibérie où, selon l’auteur, règne une uniformité étale, ni de se propulser en son extrême-orient puisqu’il n’arrive pas, malgré toute la précision qu’il y met, à nous en révéler le sel...

Petit dictionnaire illustré du Baïkal

Auteur : Philippe Guichardaz

Septembre 2016, on découvre l'Altaï, un reportage de Valentine Grosjean et Cristal Roussel.

Ce reportage a été réalisé par deux enseignantes invitées à Barnaoul pour donner quelques cours de Français à l'institut pédagogique.

Mais les deux voyageuses profiteront d'une surcroit de séjour pour visiter la région, avec Valentine Grosjean comme guide. Pas de surprise : pendant les sept ans qu'a duré la coopération entre la région d'Altaï et la Franche-comté, Valentine a été de presque toutes les délégations ! De quoi avoir gardé un bon carnet d'adresses d'amis altaïens ! Elle nous fait profiter de leur séjour....



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Les Carnets de Sibérie, un livre de Philippe B. Tristan

"Les Carnets de Sibérie, région du kraï de l'Altaï" ont été écrits suite à une résidence de deux mois de Philippe B. Tristan en Altaï.

Le principe en a été une narration de l'ensemble de son voyage, sous un point de vue alternant regard personnel et descriptif précis et documenté des lieux visités.

Il aborde ainsi, avec une légèreté apparente, des pans de l'histoire de la région qui, dès la préhistoire, a eu un rayonnement dans le monde entier. Mais c'est aussi sur les hommes et les femmes rencontrés qu'il pose un regard attentif et chaleureux, sur leur caractère, leur culture et leurs traditions. C'est ce regard qui s'exprime de façon évidente dans les photographies qu'il a ramenées de son voyage.



Dans les forêts de Sibérie, un livre de Sylvain Tesson.

On a ici le best-seller de la série, un livre aux incontestables bienfaits sur l’attractivité des terres sibériennes. Seulement, on est ici dans un lieu déjà inscrit dans le tourisme de masse étant donné qu’avec Moscou, Saint-Pétersbourg et le transsibérien, le lac Baïkal est en tête des destinations les plus fréquentées par les touristes étrangers en Russie. Il n’empêche : l’idée qui a prévalu ce livre est excellente, tant dans le choix d’une maison de chasseur pour y faire une résidence d’hiver au bord du lac, que dans celui de faire de ce séjour une sorte d’hommage à la vie d’ermite, pourvoyant la Russie d’un second Ermitage...

Le film adapté du livre n’a pas pu conserver à la solitude célébrée dans l’essai toute sa dimension. Un film sans rencontre n’étant pas un film, on a donc inventé pour le 5ème art un nouveau personnage qui, finalement, complète bien le tableau pour celui qui a déjà lu le livre. Deux œuvres donc, et celle de Sylvain Tesson dans son ensemble, pour parler de la Russie et de la Sibérie autrement, comme une véritable terre d’aventure où l’espace prend une ampleur qu’il peut difficilement trouver dans notre Europe surpeuplée. La mutation des éléments, la majesté des lieux en opposition avec la fragilité et l’exiguïté d’une cabane en bois, Sylvain Tesson sait faire phrase de tous les paradoxes de la situation qu’il a créée. Une situation mise en scène et assumée coûte que coûte par un Français bien décidé à vivre autrement, à expérimenter son corps et son esprit dans des espaces d’initiation et d’ouverture, une façon visionnaire de parvenir à une conception du monde affranchie et lucide.


En Sibérie, un livre de Colin Thubron

On serait tenté de dire qu’En Sibérie est le premier livre sur la Sibérie moderne. Colin Thubron serait le premier écrivain occidental à avoir bénéficié d’un visa longue durée qui lui a permis de sillonner la Sibérie dans tous les sens en 1999. A partir de là, une remarquable connaissance du pays lui a permis de construire un nouveau visage de la Sibérie, quoi que encore marqué de quelques fantasmes post U.R.S.S.

Thubron visite la Sibérie l’hiver. Ce qui fait qu’il passe (volontairement ?) à côté des miracles estivaux de certaines régions. Mais sa curiosité, notamment pour les trésors archéologiques d’Altaï, est absolument passionnante. Comme le fera après lui Sylvain Tesson, c’est donc encore la Sibérie de la rigueur et du froid qui le passionne, comme s’il fallait répondre à une attente convenue par le public marqué encore par Soljenitsyne et Pasternak. Il visite ainsi quelques Goulags, initiant un tourisme mémoriel d’un nouveau genre.

Il n’empêche. Sa visite des Kourgan de Pazyryk, la révélation qu’il fait de l’existence de cette fascinante « princesse des glaces », nous met déjà sur les traces de fabuleuses aventures pour le futur.

Les Cornes magiques d'Ogaïlo, Vassili Starodoumov, traduit par Philippe Guichardaz

Depuis la nuit des temps, les contes du lac Baïkal se sont transmis, de génération en génération, parmi les Bouriates, peuple natif des rives Est du Baïkal.

Les pêcheurs, les bergers et les chasseurs, mais aussi les montagnes, les rivières et les forêts sont les héros de ces contes. Le plus illustre est Baïkal, honoré du nom de Mer et aimé autant pour les richesses dont il est prodigue que redouté pour ses tempêtes.

Les sept contes de cet album ont connu un immense succès lors de leur publication en Sibérie, il y a quarante ans. Ils sont pour la première fois publiés en français et proposés avec les illustrations de l'édition originale.

Panier de souvenirs de la steppe, un film de Philippe B. Tristan

Un film monté à partir d’un panier de photographies, de chansons filmées, de bouts de films enregistrés lors d'une résidence dans la steppe sibérienne (cf. Les Carnets de Sibérie). Un voyage qui s’est donné pour but non pas une Jetée (cf le film photographique de Chris Marker) mais un lac salé.

C'est une lettre en images, où l'appareil photographique a été la moitié du stylo.

C'est une magnifique lettre d'Amour, une plongée dans un espace où un couple s’invente, où le cinéma est très présent, malgré que le film ne soit pas du cinéma, mais de l'écriture en sons et en images.



Où Traîne encore le cri des loups, un livre de Marc-Henri Picard

C'est en Sibérie que j'ai appris l'existence de ce livre français. Par un peintre russe vivant dans le midi et qui aurait rencontré le jeune écrivain, Marc-Henri Picard. Le livre avait fait l’objet d’un article dans le Figaro, ce qui n’a pas empêché son éditeur de faire faillite. Le courage n’est pas toujours récompensé…

L’œuvre éditions n’est donc plus, ne cherchez donc pas le livre chez les libraires. Il se trouve cependant encore en occasion sur la toile. Nous devons ce livre de 2009 à un jeune Breton qui est peut-être le seul écrivain plus tête brûlée que Tesson ! Son expédition ne porte pas de date, ni de durée, mais elle a duré au moins six mois vu le passage des saisons. Six mois seul à vouloir aller de Vladivostok à Moscou à pieds… Défiant le cri des loups, le flair des ours, les bars malfamés des bleds les plus reculés de Sibérie et même la police de surveillance en se permettant de franchir des ponts interdits aux piétons… Ça lui a valu quelques grosses frayeurs et quelques bonnes raclées qui auraient très bien pu le laisser mort au bord de la voie. Car l’Inconscient a frôlé la mort à plusieurs occasions…

Son écriture est très elliptique. On sent quelques prises de notes faites en route lorsque la fatigue le permettait, et certainement quelques réécritures au retour d’après photo. D’ailleurs d’aucunes sont très impressionnantes, d’un noir-et-blanc assombri probablement par la peur et quelques fois par le découragement.

On pourrait se demander qu’est-ce que Marc-Henri est allé faire en Sibérie ? Se mettre à l’épreuve dans ce qui est incontestablement un roman initiatique ? Une quête mystique ? Ou peut-être le formidable défi de devenir un écrivain ? En tout cas cette incroyable auto-biographie d’une traversée qui finira au pied de l’Oural se lit avec un plaisir respectueux pour une sorte de Rimbaud moderne qui a voulu, sans s’attacher et au risque de sa vie, écouter le chant livide et quelquefois sublime des sirènes sibériennes…



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L'Obier Rouge, de Vassili Choukchine, et Les baies sauvages de Sibérie d'Evgueni Evtouchenko

Choukchine est un inconnu en France. Seuls quelques spécialistes russophones ont déjà entendu parler de cet écrivain, acteur, réalisateur pourtant extrêmement connu des Russes, - en tout cas de ceux qui ont un peu vécu pendant la période soviétique.

Evtouchenko a pu être davantage connu en occident pour avoir terminé professeur en Oklahoma, de 1991 à 2017. Ceci dit, on dirait que sa mort est passée très inaperçue en France. Les deux hommes, nés à quelques années d’écart ont eu en commun d’être aussi acteurs et cinéastes, mais l’un restera nouvelliste et scénario, tandis que le second aura surtout été connu comme poète. Le ton critique d’Evtouchenko, ses libertés de position lui ont valu quelques réprobations, mais globalement il a profité cependant d’une notoriété constante. Son livre « Les baies sauvages de Sibérie » est son roman fleuve, seul roman de son œuvre, et a été considéré comme très dérangeant à l’époque.

Quant à Choukchine, il a été une sorte de néo-réaliste russe. Né en Altaï dans le petit village de Srostki, à quelques kilomètres de Biisk, il a toujours gardé de l’attachement pour son village natal et ses habitants qu’il a filmés avec un naturel remarquable. Sa suite de nouvelles « L’obier Rouge », dont le titre est probablement inspiré par la chanson connue dans le monde entier « Kalina kakalina kakalina krasnaïa ! » - eh oui, l’Obier Rouge c’est en Russe « Kalina Krasnaïa », ces fruits en grappes rouges luisant sous le soleil de la fin de l’été…

Si nous avons eu envie de parler de Choukchine et d’Evtouchenko c’est qu’ils ont su parler avec une égale sensualité de l’été Sibérien. S’il y a toujours chez Choukchine la menace venant de la ville et finissant par arracher aux ruraux cette sorte de liberté désinvolte qu’ils croquaient l’été à pleines dents, cette tendance est savourée avec moins de mauvaise conscience chez Evtouchenko. Ils ont su exprimer une Sibérie joyeuse sous le soleil, même si laborieuse (il semble que le farniente n’ait jamais existé par ici…). Une Sibérie où les jeunes femmes savent s’abandonner dans un air du soir aux parfums inoubliables… Bref, une Sibérie qui enfin s’autorisait à vivre.



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