Mercredi 12 septembre 2018 (1er jour) : De Barnaoul à Gorno-Altaïsk, nuitée à Tchemal.

Nous commençons un voyage de huit jours qui sera un voyage test d'un itinéraire mis en place par une société parisienne en partenariat avec la société Alaktou, un de nos partenaires. Ce voyage sera aussi la base d'un nouvel itinéraire que nous ajouterons à notre catalogue cet automne.

Nous accueillons à l'aube Nathalie, à l'aéroport de Barnaoul, et partons directement à Gorno-Altaïsk afin de rejoindre le magnifique musée Anokhin. Nous sommes pressés par notre rendez-vous avec la princesse d'Oukok car elle ne sera visible que cinq fois en ce mois de septembre, et aujourd'hui jusqu'à seulement 13 heures.

Comme prévu, et grâce à la conduire rapide et malgré tout prudente d'Andreï, nous entrons dans le musée à 11h30 et nous dirigeons directement vers la salle consacrée aux fouilles des kougans (tumulus) Ak-Alakha 1, 2 et 3. La princesse a été découverte dans le kourgan N°3. Oukok est le nom des plateaux où les kourgans ont été découverts, une zone à la frontière du Kazakhstan et à deux pas de la frontière chinoise. J'ai plaisir à voir comment les altaïens de Gorno-Altaïsk ont décidé de montrer la momie de ce pauvre corps de femme. Les photos étant interdites, je ne pourrai pas joindre l'image à la parole. Un voile recouvre donc une grande partie du corps de cette jeune femme de 25 ans qui serait morte, nous apprend la jeune gardienne, d'un cancer du sein. Ce voile est une marque de respect que je trouve très appréciable. Dommage qu'il ne permette pas de voir davantage ses fabuleux tatouages, dont seule une partie de celui qu'elle a à l'épaule gauche est visible. Mais pour le reste, cette pudeur qu'on lui a rendue fait montre de qualités humaines qu'on ne peut qu'apprécier. Qui pourrait souhaiter que son corps à ce point abîmé par le temps soit jeté au regard du tout venant ? D'autant plus que ce voile apporte à la gisante, en laissant voir seulement ses mains dans la partie centrale de son corps, une attitude assez émouvante. En effet les mains se chevauchent dans un mouvement presque tendre, avec des longs doigts qui semblent ainsi retrouver une partie de leur charme, de cette capacité à nous émouvoir, que la mort et le temps semblaient avoir volés.

Nous avons ensuite continué la visite de ce magnifique musée où rien n'a été omis. Le bâtiment est très réussi vu de l'extérieur comme de l'intérieur. Ses montées d'escalier par exemple sont d'une sobre beauté, chaque salle est assez vaste et aérée, les explications, les articles présentés, tout est fait pour satisfaire à la fois le regard et l'esprit. Nous avons croisé des enfants qui, malgré leur très jeune âge, ne cessaient d'interroger leurs parents, signe que le musée avait réussi à éveiller leur curiosité et leur désir d'apprendre. Une très belle réussite culturelle et scientifique à ne manquer sous aucun prétexte !

Après un déjeuner bien méritém Andreï va nous faire visiter la ville. Nous y verrons le grand théâtre qui était en train de préparer un spectacle, "Sakha Yakoutia", que malheureusement nous n'avons pu ni approcher ni photographier. En tout cas la culture Yakoute allait y être très présente vu les costumes et les instruments de musique traditionnels entrevus. Dommage que nous ne puissions pas voir cela un jour...

Plus tard nous visiterons un ensemble d'églises en bois assez joli, bien que de création relativement récente.

Enfin nous avons rejoint la voiture, bien contents de se réchauffer un peu car il faisait plutôt froid en ce mercredi 12 septembre. Mais on nous annonce un réchauffement dès demain. Cette fois nous quittions Gorno-Altaïsk pour nous diriger vers le village de Tchemal, un des lieux les plus connus des russes en Altaï. Nous avons repris la Tchouïsky Trakt et longé le lit de la rivière Katoun. Parfois quelques trouées de soleil ravivaient les couleurs que la grisaille nous avait enlevées. Entre les rochers couverts de pins sibériens, de sapins et de mélèses et la Katoune turquoise, la route peu à peu prenait ce visage qui a fait sa réputation. On dit en effet de la Tchouïsky Trakt qu'elle est une des plus belles routes du monde. Nous verrons de jour en jour comment peu à peu elle change de visage, selon les paysages qui la bordent. Car la variété est un des atouts de sa beauté.

Un petit arrêt dans la base de Barangol pour découvrir que, depuis 2012 où je l'avais découverte, elle n'a pas cessé de se modifier et d'évoluer. On y a ajouté d'abord une piscine, et maintenant une seconde. Le bâtiment principal a disparu pour être reconstruit à un autre endroit. Le magnifique pont suspendu a été repeint. Un très bel endroit gâché, pour Nathalie, par cette grande cage où un ours est enfermé pour être montré aux enfants. Un détail qui a un peu gâché la visite à Nathalie qui ne supporte pas une telle captivité d'un animal sauvage. A part ce regrettable détail pour qui partage la sensibilité de Nathalie sur la question, la base est située sur un très beau bras de la Katoun et offre, l'été, un festival de marionnettes et de poupées d'art de toute beauté.

Dernier fragment de notre voyage du jour qui nous fera quitter la Tchouïky Trakt pour emprunter la Tchemalsky Trakt menant à notre destination. Le lit de la Katoun est toujours sur notre droite et nous arriverons bientôt dans ce charmant village de montagne pour nous installer dans une maison d'hôte très soignée et joliment aménagée. Une belle récompense pour nos corps fatigués ! Et la fin de notre première étape !

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Jeudi 13 septembre 2018 (2ème jour) : De Tchemal à Outch-Enmek.

Lever dans notre charmante maison d’hôtes, avec une équipe de propriétaires très accueillants. Andreï nous conduit sur une hauteur du village où se trouve une petite église dans un bois de pins. C’est le terminus de la route qui mène à Tchemal. A côté de l’église, les bâtiments du monastère où vit encore aujourd’hui une communauté de nonnes.

Ensuite nous descendons un chemin, quelques escaliers, et traversons une zone de kiosques en bois proposant des souvenirs aux touristes. Encore quelques marches et nous arrivons devant le pont suspendu qui a fait la réputation du lieu. Andreï nous explique l’histoire des lieux. Tout a commencé en 1855 lorsqu’un évêque du nom de Parphère a consacré l’île à l’apôtre Matthieu et l’a nommé Patmos en l’honneur de l’île grecque du même nom où le saint apôtre Jean le Théologien était allé prier. Ces références théologiques sont importantes dans le sens où, sans ces références, la destruction aurait eu raison de ces lieux en bois si faciles à faire disparaître. Car des destructions il y en a eues. En 1849 on construit une première église, en même temps qu’on installait ici un camp de mission spirituelle. Le but étant clairement de convertir un maximum de locaux à l’orthodoxie, la religion officielle de l’empire russe. En 1875 on déclasse la première église, l’utilise pour loger les missionnaires et on en construit une nouvelle plus vaste. Mais vingt ans après on reclasse la vieille église pour la consacrer à la « mère de Dieu ». C’est cette église qu’on va déplacer en 1915 sur l’île entourée par deux bras de la Katoun, soixante ans après que Parphène ait consacré l’île. Elle est devenue l'église de Notre-Dame, Mère de Tous les Affligés, et un premier pont suspendu a été construit pour y conduire.

En 1920, le régime soviétique détruit le pont ainsi que la petite église. Il faudra attendre 80 années et l’arrivée d’un couple de missionnaires venus de Moscou pour que l’on reconstruise l’église et le pont suspendu. Il en a été de même de l’église que nous avons d’abord vue dans le petit bois au-dessus. Chaque régime soigne ses symboles. Mais pour ce qui est de cette île de Patmos, surgissant sur le cours de la rivière Katoun, avec sa la couleur si caractéristique , c’est une belle réussite de l’orthodoxie. Une véritable merveille.

Andreï nous mène ensuite le long d’un sentier qui sillonne sur le flanc de la montagne. En bas, le lit turquoise de la rivière. Une agréable promenade jusquà un petit barrage. Incontestablement, l’île de Patmos et ses environs sont un des joyaux de l’Altaï. La matinée fut comme enchantée par cette visite.

Nous repartons ensuite en direction de la Tchouïsky Trakt jusqu’au village de Tchepoch où se trouve le musée des « dix manches ». Dommage que le nom ne soit pas originalement en français, le jeu de mots aurait été parfait ! Il s’agit d’un musée de culture traditionnelle russe où une jeune femme, Anna, va nous faire découvrir la symbolique des poupées de chiffon russes. Cette poupée, que l’on trouve très souvent dans les foyers russes, n’est pas seulement un jouet pour les enfants. C’est un véritable talisman. Et comme pour chaque talisman il faut des signes, des symboles, des codes plus ou moins secrets. Anna va donc nous révéler l’usage et la symbolique de quelques-unes de ces talismo-poupées russes. Il y en a pour les femmes enceintes, il y en a pour la santé, la prospérité, pour les mariages, la protection des enfants, des voyageurs… bref il y en a pour tous les moments de la vie. Mais la plus étonnante est celle que l’on voit illustrée sur cette vidéo. Elle symbolise les quatre moments de la vie d’une femme. Une vraie performance de conception !

Il y aura aussi la symbolique de ces œufs de pâques dont l’esthétique extrêmement codifiée est remarquable. Anna nous explique comment on réalise les différentes couches colorées, en protégeant avec de la cire tout ce qu’une couleur ne doit pas imprimer. Ensuite on trempe l’œuf de poule ou d’oie dans une macération d’extraits de plante en ébullition, et la coquille se teintera, dans ses parties non couvertes de cire, de la couleur du colorant.

Enfin Anna nous conduit dans sa maison de Baba Yaga où vit une énorme sorcière en chiffons. On apprend comment cette Baba Yaga, symbole de la nature sauvage, était auparavant une très belle femme et que, suite à l’influence de l’église qui a combattu les croyances et savoirs païens, cette belle femme est devenue une vieille et laide sorcière. Au lieu de l’admiration, ce symbole de la nature première allait susciter chez les enfants de la peur et devenir ensuite un objet de moquerie et de mépris. Une visite très enrichissante sur la culture populaire de la Russie traditionnelle.

Nous reprenons la route, retrouvons la Tchouïsky Trakt et après quelques kilomètres nous nous arrêtons dans ce que les russes appellent une « tour basa », très nombreuses ici et pas très fréquentes en France. Appelons cela une base touristique. On y trouve un restaurant et des chalets de résidences. Parfois un hôtel complète l’ensemble. Tout y est bien aménagé, propre. C’est généralement entouré d’une enceinte plus ou moins haute, - les Russes aiment être protégés de balustrades. On peut s’y promener en paix, il y a des zones de jeux pour les enfants. On nous conduit au restaurant où nous attend Tatiana, la directrice de notre agence partenaire que je vois pour la première fois après des montagnes de mails et d’appels téléphoniques ! Au restaurant nous attend de très bonnes dégustations : fromages froids ou cuits, pierrades, manty, qui sont de très gros raviolis cuits à la vapeur, et boissons locales. Un vrai régal pendant que nous faisons le point sur les voyages que nous proposerons l’année prochaine ensemble.

Nous reprenons alors plein sud jusqu’au col Seminsky. Là le froid est au rendez-vous et le sol est parsemé d’un tapis de neige. Nous prenons un sentier qui monte dans une forêt pour découvrir ces arbres recouverts de Dialama, les rubans donnés en offrande aux dieux des lieux. Ces Dialamas blancs s’assortissent curieusement au sol saupoudré de neige. On en profite pour se tirer le portrait avec Nathalie. En rejoignant la voiture nous sommes salués par notre guide, une jeune femme du nom d’Aurika qui nous a rejoints là par je ne sais quel mystère. Elle est très souriante et sympathique et a complété notre petite équipe. Il y a donc Andreï au volant, Nathalie, Genia notre jeune interprète et celui qu’on appellera, comme dans les livres de linguistique des années soixante-dix, votre narrateur, - s’il vous plaît !

Nouveau fragment de route. Le temps n’est pas au beau fixe mais les nuages réussissent à laisser percer de temps à autre le soleil. De très beaux paysages défilent, nous faisons quelques haltes photos de temps en temps. Au-dessus de nos têtes les nuages laissent passer à nouveau les rayons du soleil. Il fait un peu frais mais il fait beau. Andreï est concentré sur son volant, et Genia s’est mis à traduire les commentaires qu’Aurika nous fait en route.

C'est seulement vers la fin de l’après-midi que nous arriverons au village de Karakol. Une piste à droite, direction le parc Outch-Enmek.

Nous croisons quelques troupeaux et finissons par arriver face à deux grandes pierres dressées près d’un ensemble de kourgans. Les kourgans sont des tumulus de l’époque scythe. Il y en a bien sûr des antérieurs, mais les plus gros et les plus courants ici sont de culture scythe. Les Scythes étaient un peuple, plus ou moins homogène (l'empire scythe allait jusqu'aux portes de la Grèce), de guerriers nomades. Derrière les deux mégalythes, la vallée sacrée de Karakol. Nous n’aurons pas le temps de visiter le parc qui comporte de nombreux pétroglyphes et un musée très intéressant de la culture altaïenne. Ce sera pour l’année prochaine !

La nuit tombant, nous nous dirigeons vers le centre de la réserve. On y trouve un hôtel assez sympathique où l’on va déposer nos affaires avant de nous diriger, plus loin, vers un grand Ayïl. L’Ayïl ne doit pas être confondu avec une yourte (ce que font pas mal d’agents de voyages). On pourrait pour le définir l’appeler une « yourte en bois ». En fait l’ayïl est l’ancêtre de la yourte en feutre. Cette dernière a été inventée par les peuples sibériens pour pouvoir développer l’élevage semi-nomade (en général un lieu par saison, d’où la nécessité de résidences démontables et transportables). C’est donc dans ce grand espace qu’on a fait le restaurant de la base de la réserve où, là aussi, nous attendait une dégustation de produits altaïens : viande de mouton cuit dans un bouillon et larges pâtes maison, à côté une sorte de boudin, du Koumys (lait de jument fermenté), de l’Arika (Koumys distillé), des fromages très durs et un peu piquants que les bergers pouvaient emporter avec eux dans les alpages, une farine spéciale permettant de faire une bouillie au thé et au lait. En cours de repas un vieux monsieur en vêtements traditionnels et portant différents instruments de musique entre et commence à s’installer. C’est un Kaï-Chi altaïen, c’est-à-dire un chanteur de gorge. Il va s’accompagner de son Topchour, un luth à deux ou trois cordes. A un moment il va même nous demander, à moi et Nathalie, de l’accompagner. Voilà ce que ça a donné :

La soirée a gentiment traîné dans la bonne humeur. Le musicien nous a fait quelques performances vocales remarquables. L’acoustique dans l’ayïl est parfaite pour une musique acoustique. C’était parfois bouleversant d’entendre ce vieux monsieur sortir du fond de sa gorge des sons tellement étranges, avec des harmoniques qui nous emportaient dans le silence de la nuit alentour. Lorsque nous sommes enfin sortis, nous nous sommes retrouvés dans une nuit totalement noire et sous un ciel gorgé d’étoiles. S’il avait fait plus chaud nous aurions pu rester là plus longtemps, mais malheureusement, cette année, le froid était au rendez-vous. D’autres années on aurait pu rester en tee-shirt toute la soirée. Mais on ne va pas reprocher un peu de fraîcheur aux Dieux qui nous ont permis de découvrir toutes ces merveilles. Ici les Dieux proposent et on doit dire « merci ». Une bonne manière d’apprécier les fruits de la vie, même s’ils ne sont pas toujours exactement comme on les avait souhaités.

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Vendredi 14 septembre 2018 (3ème jour) : De Karakol à Koch-Agatch

Fraîche matinée au réveil mais le soleil est au rendez-vous. Nous avons le temps de contempler les abords des bâtiments de la réserve, de la base d’hébergement avec son mur d’escalade, aux deux types d’habitats présents, la yourte mongole et l’Aïyl sibérien. Nous rejoignons la Tchouïsky Trakt et, après quelques kilomètres, faisons un petit arrêt dans un magasin de produits en laine locale. Il y a un atelier de tissage à proximité mais en cette saison il est fermé. Les ouvriers s’occupent de la tonte des moutons. Gilets, tapis, de très belles choses en laine naturelle. Plus loin nous ferons une halte au col de Tchike-Taman.

Depuis le haut du col on voit les grands lacets de la route s’élevant à une altitude de 1487 mètres. Il faut préciser que le col de Tchike-Taman a été une des dernières grandes réalisations de la construction de la Tchouïsky Trakt. Il a été achevé en 1984. Cette route qui permet d’aller de Sibérie à la Mongolie est une voie très ancienne qui permettait les échanges avec la Mongolie et même avec la Chine. Très difficile et très peu sûre, une pression a commencé à naître à la fin du XIXème siècle pour améliorer ce qui n’était encore qu’un chemin. En 1860 commence un projet de rénovation qui devrait sécuriser la voie et la rendre praticable par d’autres moyens de transport que le cheval ou le chameau comme c’était le cas. Mais le projet s’est vite heurté à un manque de fond. C’est pourquoi vers 1890 les marchands proposent de contribuer à l’amélioration de la voie. On commence à l’élargir, à enlever les pierres qui empêchaient le passage et à construire des terrasses en pierres ou en bois afin de la rendre accessible. En 1902 elle devient donc praticable à des engins à roue. Ce sont des parties de cette ancienne voie que l’on peut apercevoir à proximité du col de Tchike-Taman. Il est quand même intéressant de savoir que la première tentative pour se rendre en Mongolie en voiture a été faite en 1910 avec un véhicule que le marchand Mazen avait acheté 3.000 roubles. "L'équipage automoteur" a traversé la portion de la route en direction du sud, mais le marchant est revenu à cheval. Qu'est-il arrivé à son "moteur" ? A-t-il eu un accident dans la montagne ? A-t-il vendu son véhicule ou l'a-t-il abandonné suite à une panne ? Personne ne l’a jamais su.

En 1924 un nouveau véhicule va se risquer sur la voie entre Koch-Agatch et Bïïsk, et en 1925 un nouveau véhicule va parcourir la route sur toute sa longueur. La suite de la construction va se faire progressivement, encouragée par les accords entre la Russie soviétique et la Chine communiste. Un pont est construit sur la Tchouïa vers Koch-Agatch, ainsi que trois bacs pour traverser la Katoun. En 1929-1930, l’emploi d’un grand nombre de prisonniers va faire avancer la construction, engendrant des morts, comme tous ces grands travaux employant des prisonniers. On parle ici d’une centaine de morts... En 1956-1957 la section Oust-Sema Chebalino a été réparée et on a construit des ponts à travers la Katoun, la Bïïa et l’Icha. La Tchouïsky Trakt ne s’est donc pas construite en un jour et je n’en ai dit que les grandes dates ! Oublions donc toutes ces explications et contemplons ce joli lacet serpentant dans la montagne sur un fond montagneux de toute beauté.

Comme dans tous les cols que nous avons traversés se trouve une allée de boutiques proposant parfois de très beaux produits dont une grande partie viennent de Mongolie.

La route reprend et va suivre pendant un certain temps la rivière Grand Ilgoumen. En pleine nature on a judicieusement installé des petits kiosques au bord de la rivière pour ceux qui voudraient bivouaquer. Il ne fait pas très chaud, un vent froid gâche un peu le soleil, mais cela ne nous empêchera pas une petite pose thé-petits gâteaux dans un très joli cadre en bord de rivière.

Nous visiterons ensuite, dans le petit village de Kouptchegen, des ateliers qui fabriquent, à la manière d’autrefois, des selles, des œuvres de ferronnerie ainsi que des objets en laine tissée. La selle présentée était de toute beauté, avec des garnitures en laiton fondues sur place, - de même pour les étriers et les boucles. Un très beau travail qui aurait déplacé, nous dit Aurika, un gros fabriquant de selles du Texas poussé par la curiosité !

Le temps s'est réchauffé, le soleil brille et en bordure de route nous nous arrêtons pour contempler une boucle de la rivière Katoun, qui a rejoint la route après avoir fait un grand détour par l'Est. Nous sommes près du village Petit Yaloman, un village qui a dû à cette présence de la rivière un micro-climat lui permettant de produire prunes et pommes. Andreï en profite pour acheter quelques kilos de pommes qui nous accompagneront en chemin. Deux jours seulement ! Car le sac d'au moins trois kilos a été vidé par nos appétits routiers en moins de trois jours !

Plus loin encore, nous faisons une halte pour découvrir la confluence de la rivière Tchouya et de la Katoun. Partout le long du sentier on a dressé des pyramides de pierre et les arbres sont parsemés de dialamas. Nous retrouvons la magnifique couleur de la Katoun, et l’affluence permet de voir que toutes les rivières ne se ressemblent pas en Altaï, la couleur de la Tchouya étant tout à fait différente.

Enfin nous allons visiter ce sanctuaire que je rêvais de découvrir depuis bien longtemps : Kalbak-Tach. C’est un ensemble de 5000 gravures rupestres couvrant une très longue période, du néolithique supérieur (Vème au IVème millénaires avant JC) à l’époque turcique (du Vème au Xème siècle de notre ère), en passant par l’âge de bronze (IIIème au Ier millénaire avant JC), l’époque scythique (VIème au IIIème siècle avant JC) et la période des Huns (IIème au Vème siècle de notre ère). Un bel ensemble qui est marqué par de grands et beaux mystères, tel ce pétroglyphe absolument saisissant :

Les guides ont chacun leur petit topo à propos de ces pétroglyphes. On a l’impression en les écoutant que les « scientifiques » savent tout à leur sujet. En fait, en l’absence de texte, on ne sait pas grand-chose sinon ce que quelques recoupements ont permis de supposer. On voit d’abord que les styles divergent, les uns très rudimentaires, les autres beaucoup plus fins et détaillés. Mais les thèmes divergent aussi. Parfois on a l’impression qu’on a illustré des animaux, parfois il est bien évident qu’on a constitué un ensemble dont il est aisé de supposer que leur juxtaposition « raconte » quelque chose. Il est aussi à peu près certain que l’endroit a été un lieu de culte.

Maintenant on peut se demander si ces gravures sont toujours apparues comme on les voit actuellement. J’ai trouvé très intéressant de découvrir, en regardant les photographies du voyage, qu’on avait illustré l’entrée d’un musée Téléguite par des pierres gravées. Or on avait relevé la gravure par des ombres peintes sur le pourtour des objets. On peut donc très bien imaginer que ces pétroglyphes, aujourd’hui si difficiles à discerner, pouvaient à l’époque être tout à fait lisibles et offrir un spectacle, pour l’époque, tout à fait impressionnant. Ce qui est un trait permanent des lieux et des costumes de cultes, que ce soit une église baroque italienne ou le costume d’un sorcier.

L’ensemble le plus impressionnant de ces 5000 motifs est certainement ce rocher que certains appellent « пожиратель душ » qui se traduit par « les mangeurs d’âme ».

On y voit tout d’abord des « géants » portant une queue et une tête en forme de chapeau de Napoléon. Le plus grand a le haut du torse évidé, ce qui pourrait créer un lien avec l’énorme animal avec des dents menaçantes qui les surplombe et dont la queue a la forme d’une échelle. Le gros animal serait peut-être là pour « évider » l’intérieur des hommes. C’est cet ensemble de détails qui a permis de penser que la scène pourrait être une scène d’élévation ou d’initiation, le passage à l’âge adulte pensent certains, à l’au-delà disent d’autres.

En tout cas je pense que les guides devraient exprimer un peu plus de réserves dans leurs explications. Souvent on a l’impression que tout est expliqué et qu’on vous raconte la vérité une et certaine. C’est une position qui ne me plaît pas beaucoup. On peut faire des hypothèses, et ces hypothèses seront probablement plus vraisemblables si elles sont faites par ceux qui passent leur vie à en étudier les mystères. Mais cela restera toujours des hypothèses. Ces gravures ont été créées par des sociétés que l’on connaît peu, et le mystère fait partie de leur charme tout comme il nous met face à nos limites. On peut tout supposer, tout imaginer puisque finalement on ne sait rien. Mais il est impossible d’affirmer que cela veut dire ceci ou cela. Alors regardons ces motifs étranges et laissons-nous porter par la rêverie. Certains ont imaginé que les gravures des géants évoquaient la rencontre avec des extraterrestres. Eh bien, qu’ils croient cela s’ils veulent, mais qu’ils n’affirment pas que c’est une vérité. Une chose est certaine : ces géants avec leur queue et leur tête en tricorne sont vraiment impressionnants !

Une autre scène est frappante, celle de ce gros boviné à taches rondes, entouré de personnages en action où l’on trouve aussi un curieux accessoire ressemblant à un char à voile. Certains y ont vu la constellation d’Orion. En tout cas quel rythme il y a dans cet ensemble !

Nous nous arrêterons après quelques kilomètres, et peu avant l’entrée d’Aktach devant une pierre dite « à cerfs ». J’ai déjà écrit dans ce blog à propos des pierres à cerfs qui sont très nombreuses et souvent très impressionnantes en Asie centrale. N’oublions pas que l’Altaï marque le début de l’Asie centrale. Les pierres à cerfs sont une tradition très lointaine et elles portent ce nom par le fait que beaucoup représentaient trois rangées de cerfs placées les unes sur les autres. Celle-ci, malgré son nom, ne comporte aucun motif de cerfs mais un visage d’homme sur la tranche.

Sur la paroi que l’on voit au fond se trouve aussi un certain nombre de pétroglyphes représentant essentiellement des animaux, cerfs et bouquetins.

Nous nous remettons à suivre le lit turquoise de la Katoun. Un nouveau col nous permet de découvrir un ancien tracé de la Tchouïsky Trakt qui longeait la montagne en s’appuyant sur une terrasse de pierres empilées. Un panneau indique la distance de quelques villes : Moscou 4105 km, Novossibirsk 745 km, Oulan-Bator : 1838 km. La poésie des chiffres….

Enfin nous approchons d’un site que j’attendais de voir avec beaucoup de curiosité : le lac Geyser. Les russes utilisent le mot Geyser d’une façon plus large que nous. Par exemple la petite cafetière italienne à pression a été nommée Geyser par les russes. Alors qu’est-ce que le lac Geyser ? C’est un tout petit lac naturel situé au pied d’une montagne et dont l’eau est parfaitement transparente. Dans le fond se trouve des argiles blanches et grises. Le lac geyser est aussi une résurgence. Une source surgit dans ses profondeurs (d’où le sens de geyser) et fait bouger la nappe d’argile qui se met à dessiner sans cesse des cercles au fond du lac. C'est un spectacle continuel et vraiment fascinant. En voici quelques images :


En arrivant sur le parking du lac, j’ai croisé un jeune couple de Français, Loïc et Christelle, qui se faisaient dans leur Citroën un tour complet du continent. J’espère que je pourrai bientôt lire leur blog car ils veulent rentrer par la route de la soie (Kirghizstan, Turkmenistan, Iran), et cela m’intéresse au plus haut point ! Courageux ces jeunes gens !

Enfin, après encore un certain nombre de kilomètres, nous sommes arrivés en fin d’après-midi à Koch-Agatch. A l’entrée de la ville, un immense troupeau de chameaux se mettait, en nous voyant venir, à s’enfoncer dans les montagnes, fuyant ces humains et leurs machines bruyantes.

Cette fois le paysage a totalement changé. Nous sommes maintenant dans la steppe. Tout est immense et en partie plat. Aurika nous dit que cette plaine était dans une autre ère une mer dont les collines que l’on voit au loin étaient les rivages. Un musée que l’on verra demain expose même une énorme vertèbre de baleine trouvée dans la région ! Les rives se sont brisées à la fin de l’ère glaciaire et ces étendues se sont retrouvées asséchées. Ici le climat est très sec. Peu de pluie l’été, peu de neige l’hiver. Une des significations du nom de la ville, Koch-Agatch serait : « Adieu l’arbre ». Et en effet, ici il n’y a plus d’arbre. A certains endroits on voit le sel affleurer sur des marais asséchés. C’est un autre monde, mais il y règne une atmosphère tout à fait particulière, un air absolument pur, et l’impression d’être totalement hors du monde que l’on connaît…

Pas possible de trouver ce soir un café ou un restaurant ouvert. Il nous a donc fallu aller faire des courses dans un des deux supermarchés de la ville et c’est Aurika ce soir qui nous fera à manger. Un service que je lui rendrai le lendemain. Nous avons dormi à l’hôtel de la réserve, un endroit tout à fait recommandable, parmi ces hommes qui surveillent, filment et protègent la panthère des neiges, « Snejnyï Barse » comme on l'appelle ici, et le chat de Pallas qu'on appelle ici le "chat Manoul".

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Samedi 15 septembre 2018 (4ème jour) : Dans les environs de Koch-Agatch

Nous préparons notre petit déjeuner dans la cuisine de la base de la réserve. Il semble n’y avoir que nous dans l’hôtel. Par la fenêtre on aperçoit trois camions de mission garés les uns à côté des autres dans la grande cour derrière l’hôtel. L’un a l’air d’un énorme camping-car doté de grosses roues tenant les habitacles loin du sol et qui semble pouvoir aller partout où un véhicule à roue puisse aller.

Nous rejoignons la Renault d’Andreï qui nous fera d’ailleurs jamais défaut, même lorsque nous aurons à traverser des ruisseaux et gravir des pistes très pentues.

Nous partons pour un village voisin où nous allons visiter un musée de la culture Télenguite. En route nous croisons un cimetière dont les flèches en croissant attestent la présence de nombreux musulmans dans la région. On verra bientôt qu’il y a dans les environs une grande communauté kazakhe qui se caractérise par le fait d’être musulmane. Cette pratique de la religion musulmane a intégré des résidus du chamanisme des origines, comme ce sera le cas des bouddhistes, eux-aussi nombreux dans la région.

Les Télenguites sont les habitants du sud de l’Altaï, un autre peuple turcique dont la langue et les coutumes sont assez proches de celles des Koumandines dont j’ai déjà parlé dans un blog. Pourtant il semble que les Koumandines aient été un peuple sédentaire tandis que les Télenguites des semi-nomades, à en juger par la yourte que nous présentera notre guide. L’usage de la pipe, la culture musicale des Kaï-Chi avec leur Topchour, ce luth à deux ou trois cordes, les berceaux suspendus avec un habile système pour évacuer l’urine des nourrissons, les accessoires à chevaux, les poches en cuir devant contenir le koumys, le lait de jument fermenté. Quelques curiosités aussi, cette vertèbre de baleine dont nous avons déjà parlé, et la reconstitution d’un char chinois que l’on trouve présent, en photo ou en maquette, dans plusieurs musées d’Altaï.

Comme les Koumandines, les Télenguites sont un peuple chamaniste, mais un chamanisme « contaminé » pourrait-on dire par la proximité de la Mongolie Bouddhiste, ce que va nous confirmer le rituel qui était en train de se préparer devant le musée, aux limites du village.

En attendant l’heure de l’évènement, dont l’origine vient de la célébration du solstice d’automne, selon le calendrier altaïen, nous allons explorer les collines alentour. Pas d’arbre en effet, seulement des petites plantes agrippées au sol. La steppe est un passage privilégié pour les vents, et ici ils sont plus forts que la neige et la pluie. Autour de nous on entend le chant des criquets pendant qu’ils volent. Ces grandes étendues tout autour de nous ont une présence très solennelle. C’est impressionnant mais en même temps on a la sensation de grand air et de respiration, de même que d’une grande liberté. Beaucoup de calme aussi. On est amené vers une spiritualité tournée vers les éléments qui nous entourent : cette immense plaine a sa présence et sa personnalité, cette montagne a aussi la sienne. Ici le polythéisme, l’animisme, apparaissent comme des évidences.

De retour au village nous nous apercevons que le rituel a déjà commencé. Quelques fidèles sont assis sur de petits bancs en bois qu’on a sortis du musée qui fait donc office d’un peu tout, centre culturel, centre spirituel, - bref un brassage de tout ce qui fait l’identité des gens d’ici. Derrière une petite table de camping deux hommes lisent des textes en rythmant la lecture d’objets de percussion, deux cymbales, un gong et un tambour à peau plat. Le troisième protagoniste du culte est une sorte de chaman dans un costume traditionnel. Je dis "une sorte" car il n’a pas tous les accessoires des chamans que j’ai vus en vrai (souvent des faux) ou en photo (souvent des morts), mais sa part dans le rituel se rapproche de celle qu’aurait un chaman. Je reviens donc sur le fait qu’ici, chamanisme et bouddhisme se sont unis pour le bonheur de tous et dans le respect des rites ancestraux. Ici, la part bouddhiste est clairement présente derrière la petite table. Les hommes ont des costumes bouddhistes et la lecture des textes, l’usage des percussions, tout cela est typique du culte bouddhiste tel qu’on le trouve en Mongolie et en Bouriatie notamment. Mais ce que le (peut-être) chaman fait ressemble bien à un rituel chamaniste. D’abord il allume un petit feu de baguette sur un monticule de pierres empilées. Et puis vient un moment où il va faire des offrandes. Tout ce qu’on va manger après la cérémonie va être offert en petite quantité à l’esprit de ce feu : des petits gâteaux, de la farine, du lait. Le chaman tourne autour des flammes et y jette ces sacrifices. Pour ce qui est du lait (ou du koumys ?) il le jette dans toutes les directions. C’est comme une sorte de bénédiction, un geste qui ressemble à celui des popes au moment où ils bénissent les œufs et gâteaux de Pâques.

Enfin le rituel terminé tout le monde se met à manger ce qu’il a apporté et qui s’est donc trouvé béni par la cérémonie. On se met à discuter dans la bonne humeur, les liens entre les présents se ravivent tandis que nous-autres, étrangers, saluons tout le monde pour reprendre la route, laissant ces habitants dans leur village du bout du monde…

Car nous avons rendez-vous dans un autre village, pour visiter cette fois un musée de la culture kazakhe. Comme je le disais plus haut, les Kazakhs sont traditionnellement musulmans. Mais leurs traditions sont proches de celles des autres peuples d’Altaï et leur langue, elle-aussi, de la famille des langues turciques. La guide va nous expliquer, en s’appuyant sur des grands tableaux peints relatant l’histoire de la communauté, l’origine de la présence des peuples kazakhes dans cette région. Cela remonte au XIXème siècle. Mais la guide du musée va revenir encore plus loin, puisant dans la fantastique histoire, souvent orale, du peuple kazakh, et notamment de son héros mythique, le Khan Abylaï (1711 - 1781) qui a réussi à mettre fin à la longue guerre contre les Djoungars en réunissant trois tribus qui finirons par les vaincre et conduira à la paix. Mais c’est le manque de pâturages et d’eau dans leur région d’origine qui vont amener certaines tribus à migrer vers la fin du XIXème siècle. Des accords ont dû être signés avec les tribus locales et l’on voit au mur un grand tableau de 2m par 2 environ, montrant cette scène des chefs aux costumes différents discutant autour d’un feu tandis que leurs énormes troupeaux paissent dans la lande. La guide insiste sur la valeur de cette histoire encore très liée à leurs familles. Car les Kazakhs se doivent de ne jamais oublier leurs liens ancestraux. Il existe un dicton kazakh disant « méprisable, honni soit celui qui ne connaît pas ses ancêtres » (Žetì atasyn bìlmegen žetesìz) » et il y aurait des familles connaissant leurs ascendants jusqu’à la 7ème génération !

Après la visite du musée on nous installe dans une partie de celui-ci, non celle reconstituant une yourte, mais une salle carrée consacrée à l’exposition d’animaux empaillés ! C’est là qu’une grande table a été dressée pour un repas dégustation de cuisine kazakhe. Avec Nathalie nous nous asseillons à quelques centimètres des becs d’un aigle, d’un milan, de la gueule d’un bouquetin et des petites dents d’un chat Manoul ! Nathalie, qui n’en est pas à son premier voyage et à sa première surprise ne peut s’empêcher de s’esclaffer en se disant que déjeuner au milieu d’animaux empaillés, cela ne lui était encore jamais arrivé !

On sent que la guide du musée excelle dans le service du repas. Elle explique que les kazakhs connaissent parfaitement toutes les parties du mouton, et qu’ils savent très bien les découper sans avoir besoin de hache (ils feraient bien d’apprendre cela aux russes qui coupent la viande à la hache vraiment « comme des bouchers »). Elle précise que dans les rituels de la vie, par exemple un mariage, chaque membre de la famille reçoit une partie précise de l’animal. Elle se met alors à découper soigneusement la viande autour d’un os de gigot. Lamelle après lamelle, l’os va être peu à peu totalement découvert « il ne faut perdre aucun morceau de viande ! » précise-t-elle. On retrouve des mets que l’on a déjà dégustés à Karakol, et que j’ai déjà dégustés chez les Koumandines, sauf qu’ici il n’y a pas de boudin, pas d’Araki, pas de ces petits boyaux fumés que j’avais trouvés délicieux à Karakol. En revanche il y a, parmi la viande elle-aussi cuite à l’eau sans autres adjuvants que le sel, de larges pâtes Maison et aussi des boyaux soigneusement nettoyés que j’ai trouvés délicieux. La barrière devant le boyau est souvent psychologique. Une fois franchie l'effort peut-être très bien récompensé ! La guide en profite au passage pour critiquer les Altaïens qui, d’après elle, ne lavent pas bien leurs viscères. Une polémique à laquelle aucun de nous n’oserait, par respect des uns et des autres, donner foi !

Nous dégusterons aussi une sorte de thé-bouillie. Comme tous les peuples vivant en Altaï les kazakhs font une farine grise dont, hélas, je n’ai pas compris de quelle céréale elle provenait. On ajoute cette farine grise dans du thé bien chaud, on y met aussi du beurre maison et du miel. Le goût est assez doux et sucré, tout ce qu’il faut à Nathalie et à Genia notre interprète qui sont tous deux de grands amateurs de sucreries, l’une n’aimant pas les légumes, l’autre étant végétarien.

Après une photo de notre petit groupe, bien repus après ce repas, nous quittons le village où règne une ambiance tout à fait caractéristique qui me rappelle, je ne sais pourquoi, la petite ville d’Ain M’Lila en Algérie, où j’ai vécu pendant un an il y a très longtemps. Les voyages nous laissent des empreintes qui ressurgissent parfois sans que nous comprenions exactement pourquoi.

Nous traverserons à nouveau Koch-Agatch pour nous rendre cette fois vers le sud. En effet le village kazakh se trouve au Nord-Est. Je me rendrai compte plus tard que la piste que nous empruntons est celle qui permet d’aller dans le petit site thermal de Djoumalin, une des destination de notre itinéraire « Entre Gorno-Altaïsk et la Sibérie » qui a beaucoup d’étapes communes avec celui-ci. Mais ce n’est pas pour un bain santé que nous prenons cette piste, mais pour nous rendre à ce qu’on pourrait appeler un cromlech. On parle davantage de cromlech à propos de la Bretagne, petite ou grande, mais, si l’on reprend la définition qu’en donne Wikipedia, nous sommes dans un cas très similaire : « Un cromlech est un monument mégalithique préhistorique constitué par un alignement de monolithes verticaux formant une enceinte de pierres levées, généralement circulaire. » Voilà donc ce que nous allions découvrir en pleine steppe. Il y a bien des monolithes, dressés, il y a un cercle, et c'est bien un monument mégalithique préhistorique, - donc à défaut d’un autre mot, nous appellerons ce monument un cromlech.

Lieux de culte certainement, le cromlech a été à coup sûr un monument d’observation ou de repérage astronomique. En bref un calendrier géant. Il suffit de combiner l’heure du jour et les ombres pour savoir exactement en quelle période de l’année on se trouve. Que le culte du temps soit lié au culte des dieux locaux, je pense que c’est presque une évidence, les éléments étant pris dans leurs relations au restant de la nature. Je gravirai une colline à proximité du monument pour faire cette photographie :

Il est à noter aussi que le cromlech a été nommé, par la population locale, berceau de Sartaklaïa. On a vu en effet dans le cromlech une forme de chaîse à accoucher, «Кресла рожениц», et voilà comment on s'en est venu ici pour demander d'avoir un enfant. C'est ce qui explique la présence dans les environs de nombreux dialamas, et même, en cherchant au pied des buissons, de pièces de monnaie et même de bijoux. Le lieu fait donc depuis longtemps l'objet d'une vénération particulière pour la population locale. On l'appelait pierre de Koly-Bel et on attribuait le travail de titan qui a amené ces énormes pierres ici au héros Irbizek. Ce héros était si puissant qu'il pouvait porter son cheval sur ses épaules. Cependant, ce mythe du folklore local est apparu dans une période relativement récente, bien éloignée de la date de construction de cet édifice, entre le IIIème et et le Ier millénaires avant JC.

Après avoir rejoint le groupe dans le cromlech, je demanderai à Nathalie de me faire ce portrait. Je la remercie car les photographes, comme les cordonniers, sont assez souvent les plus mal (rarement plutôt)… photographiés !

Nous retournons à Koch-Agatch en fin d’après-midi. Les ombres s’allongent, la lumière est devenue d’un bel or, les toits bleus envoient leurs pensées vers le ciel tandis qu’au loin les montagnes rougeâtres cèdent quelques cimes aux neiges éternelles…

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Dimanche 16 septembre 2018 (5ème jour) : De Koch-Agatch au col de Katou-Yaryk.

En ce cinquième jour de voyage, nous allons remonter l’Altaï en direction du Nord-Est, reprenant la Tchouïsky Trakt jusqu’à Aktach, puis prenant sur la droite la route menant à Oulagan. Mais auparavant nous nous dirigeons, à quelques kilomètres de Koch-Agatch, vers un lieu que les Russes ont surnommé « Mars » tellement son étrangeté semble venue d’une autre planète. Son vrai nom est Kylzyl-Tchin, du nom de la rivière qui le borde. Nous franchissons donc un pont près de Tchagan-Ouzoun et entrons dans une vallée qui ressemble à une oasis au milieu de la steppe.

En effet, la piste est bordée de très beaux arbres qu’Aurika et Genia nous disent être une variété de peupliers. Pourtant ils n’ont rien à voir avec nos grands plumeaux s’élevant vers le ciel. On dirait plutôt des oliviers ou certains chênes de montagne, trapus, aux feuillages refusant de trop s’éloigner du sol. Les vents étant très violents dans la steppe, on peut imaginer que cette variété a évité de trop s’éloigner de la terre afin d’offrir le moins possible de prise au vent. Mais c’est extrêmement agréable tous ces arbres, ce ruisseau. On dirait que le lieu se prête à la culture, aux arbres fruitiers.

La piste n’est pas en très bon état pourtant. Notre Renault a bien dû quelquefois lancer ses quatre roues motrices car soudain la piste s’élève à pic pour franchir on se sait quoi et redescend aussi vite. Bref, après quelques kilomètres de ce très beau paysage on commence à apercevoir devant nous ces étonnantes zébrures multicolores, du roux au jaune en passant par des verts sombres. C’est comme une étonnante pâte colorée coulée par vagues. Je suis très inquiet car les nuages couvrent le ciel et il est évident que ce curieux relief aura besoin de soleil pour offrir le meilleur de lui-même à mon objectif. Le soleil bien timide ce matin…

On gare la voiture et commence à monter sur les collines colorées après avoir franchi une passerelle sur un ruisseau. Aurika nous explique que le phénomène est dû à la présence dans le sol de fer, de soufre et de cuivre. En escaladant le sentier qui s’élève vers le haut de la colline, notre guide nous fait observer attentivement cette roche composite qui forme les flancs de la colline. De près on y voit en effet un grand nombre de fossiles de poissons et de coquillages, preuve supplémentaire que toute cette plaine fut le lit d’une mer ou d’un océan. Sur cette image, on dirait vraiment discerner une sorte de sole et quelques coquillages. Ailleurs on trouvera surtout des restes d’écailles notamment.

Peu à peu le ciel semble se dégager, d’abord au loin puis de plus en plus près de nous. Soudain il surgit ! Les nuances de rouilles, de jaunes et de verts sont saisissants et les nuances rosées des montagnes dans le fond forment un pendant magnifique aux tons chauds du premier plan. Quel spectacle extraordinaire !

Tout au fond du massif, dans sa partie arrière, une vallée se profile, le lit à coup sûr du ruisseau. C’est assez joli aussi lorsque le soleil se décide à se glisser entre les nuages.

Mais on ne peut pas s’empêcher de revenir au versant droit, guettant un passage du soleil qui ne dure parfois que quelques secondes. Il faut être prêt, appuyer, et le miracle revient !

Bien sûr on retrouve ici cette inclinaison à l’offrande des peuples altaïens. Comme il n’y a pas d’arbres pour y enrouler des dialamas, on construit des petites pyramides de pierre presque partout. Cela se fond dans le paysage, en devient une constituante bien caractéristique qui se prête fort bien à la photographie.

La visite s'achève malheureusement et la voiture nous assène quelques coups dans les reins avant que nous puissions rejoindre, pour la dernière fois, la Tchouïsky Trakt. Nous la quitterons à Aktach pour rejoindre une piste menant vers Oulagan. Jusque-là la route est assez facile. C’est à partir d’Oulagan que les choses vont se compliquer. La piste devient un sentier que notre confortable véhicule n’arrivera pas complétement à nous faire oublier les brusques reliefs. A Oulagan des enfants font du vélo, des couples font de la motocyclette, mais les touristes voyagent surtout en UAZ, le seul véhicule de transport de passagers pouvant se risquer sur toutes les « routes » !

Pendant que l’équipe fait quelques courses, j’aurai le temps de photographier cette petite fille qui attendait que son papa fasse les siennes dans une boutique. Peut-être bien un tabac d’ailleurs. Entre elle et moi une vitre qui va permettre de faire de cette photographie un véritable échange, celui de deux sourires partagés.

Il se remet à faire froid et le soleil devient de plus en plus furtif. Cela rendra fastidieux la photographie d’un lieu pourtant très réputé, la Porte Rouge, « Krasnye Vorota ». Les rouges auraient été plus percutants avec un beau rayon de soleil, mais les nuages étaient radicaux au moment de notre passage. La porte rouge doit sa couleur non pas au fer mais ici au mercure, et plus particulièrement à la présence de cinabre dans la roche. Le cinabre est un colorant et un pigment connus, notamment par les peintres, et a permis de représenter la délicate couleur des velours rouge sombre chez Van Dyck par exemple. Sans le soleil, le rouge vermillon ne sera pas dans notre photographie, mais la porte rouge sera tout de même représentée dans ce blog !

Nous reprenons le chemin. Il fait gris, c’est un temps nouveau puisque le soleil finalement ne nous a guère quitté, furtif sans être absent. Mais les kilomètres qui suivent manqueront quelque peu de lumière. On croise des cavaliers, avec ou sans leurs troupeaux de mouton. L’un de ceux-ci me permet un vrai portrait équestre, l’homme ayant une belle allure sur son cheval souris pommelé de blanc.

Nous passons un col parsemé de dialamas blancs qui pendent des nombreux arbres autour d’un monument symbolique. Aurika nous ayant quitté à Aktach, nous faisons un nouveau cliché de notre équipe maintenant réduite à quatre personnes, Genia, Andreï, Nathalie et moi-même.

Dans le village de Balyktououl nous croisons une vieille dame portant sur ses épaules, avec un instrument sans doute millénaire, deux seaux emplis d’eau. Après la photographie je lui ai demandé si je pouvais l’aider, elle a refusé d’un air décidé et un peu sévère. Elle n’avait pas besoin de moi et moins encore de mon appareil photo !

Plus loin nous sommes arrivés à un monument extrêmement réputé dans le monde de l’archéologie : les cinq kourgans de Pazyryk. Je ne sais pas où Andreï a pris l’information que les objets trouvés ici étaient en mauvais état du fait que, contrairement aux kourgans d’Oukok, le sol n’était pas gelé. C’est une erreur puisque les fouilles réalisées ici en 1920 par l'archéologue Sergueï Roudenko ont permis de trouver des objets exceptionnels dont le plus vieux tapis connu de l’humanité. Les kourgans de Pazyryk ont donné leur nom à toute la culture des kourgans scythes de la région, ceux d’Oukok et de la célèbre princesse y compris. Mais cette découverte n’a pas plu à Staline qui ne se voyait pas annoncer que ce peuple de nomades qu’il considérait comme des barbares à civiliser, avec leurs traits mongoloïdes, avait montré un état de civilisation, une finesse d’art décoratif, bien supérieurs à celui des russes à cette époque (fin de l'âge du bronze - environ Vème siècle avant JC). C’est ainsi que le brave Roudenko fut envoyé dans des camps et sa fabuleuse trouvaille tenue à discrétion. Peut-être que ce « refoulé » historique a eu des échos bien après Staline et que Pazyryk et son fabuleux trésor a été tenu longtemps sous discrétion, sous-évalué par les guides formés à l’école soviétique ? C’est une hypothèse à vérifier bien sûr… En tout cas le soleil a retrouvé quelque vigueur à ce moment, pour me permettre ce cliché à la gloire de cette fabuleuse découverte qui a eu lieu 73 ans avant celle des kourgans d’Oukok et de la célèbre princesse tatouée.

Nous continuons ce chemin assez sautillant quand, soudain, je reconnais les abords du col de Katou-Yaryk. Le très attendu col de Katou-Yaryk. Le soleil est un peu revenu bien que très bas. Face à cette combe si vaste et majestueuse, la fascination est immédiate. Je le savais beau, mais je ne pensais pas que la sensation d’être là serait si forte. De tous côtés c’est magique. Devant c’est le col et ses serpentins avec, au fond, le canyon que baîgne une lumière de toute beauté. Sur le côté c’est la cascade et la base touristique avec ses maisonnettes minuscules. Au-dessus, c’est un fol ensemble de pyramides de pierres et de dialamas. Derrière, c’est une autre vallée baignée des brumes du soir. On respire à pleins poumons, on écarquille les yeux, et parfois le tournis nous vient quand on se perche sur un rocher face au vide. C’est incontestablement un lieu magique et la vallée en bas de la rivière Tchoulychman, un émerveillement.

Nous resterons un moment à tourner autour de ce rocher surplombant le vide. On y passerait la soirée, on aimerait être amoureux pour venir ici rêver jusqu’à minuit, c’est un lieu de grande volée qui laissera en nous un souvenir ineffaçable.

Mais il nous faut encore ce soir visiter quelques hébergements. Nous remontons donc en voiture, pour la périlleuse descente du col. Il nous faudra faire encore quelques petits kilomètres pour rejoindre la base de Koo. Là une jeune femme de type altaïen vient nous accueillir et nous montrer les chambres disponibles. Elle a le bras dans le plâtre et semble faire son travail sans beaucoup de passion. Andreï nous dit que le tourisme, ici, a quatre ans d’âge seulement, et que les gens ne sont pas habitués à faire ce travail. On dirait que cette situation de servir des « blancs » les ennuie. La petite dame qui travaille à la cuisine nous accueille cependant avec assez de gentillesse. Elle nous prépare un repas basique mais bon que nous mangerons dans la grande terrasse couverte qui fait office de restaurant. Dans un coin, un ours empaillé. Pourquoi est-il si clair ? Je n’en sais rien mais en tout cas Nathalie me demande de lui faire une photo : « puisque je ne pourrai pas en voir un vivant dans la nature !… » Oui, je préfère franchement qu’elle en ait croisé et étreint un empaillé plutôt qu'un sauvage dans la nature !

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Lundi 17 septembre 2018 (6ème jour) : Du col de Katou-Yaryk au lac Telestkoïe.

Nous sommes partis ce matin d’assez bonne heure afin de pouvoir profiter d’une lumière matinale sur les champignons de pierre. C’est ce que conseille le guide de notre itinéraire « Randonnées découverte : Des hauts-plateaux au pied des glaciers ». Seulement le problème des petits matins lorsque le temps est brumeux et que nous sommes au début de l’automne, c’est que la brume est assez longue à se lever. Les différents événements de la journée nous ont prouvé que nous avons eu tout le temps une heure d’avance. Bref, au lieu de partir à 8 heures, nous aurions dû partir à 9 comme d’habitude. . Mais nous y reviendrons. Nous avons repris le chemin de terre, en découvrant que certains tronçons étaient en travaux d’agrandissement. On peut donc espérer que, d’ici quelques années, la route sera meilleure. Voilà comme elle se présente aujourd’hui, et voilà comment le soleil, en cette fraîche matinée, s’amusait à toujours nous larguer du lointain.

Après une petite heure de route, nous sommes arrivés aux environs d’une base touristique annonçant un des sites tant attendus du voyage : « kamennye Griby », Les champignons de pierre. Nous entrons dans une cour autour de laquelle se trouvent des bungalows et Andreï va demander à dame qui se trouve là si nous pouvons traverser la rivière. La dame s’excuse et nous envoie vers la base qui se trouve juste après la sienne.

On se gare donc dans la deuxième cour, où on retrouve de semblables petits chalets en bois et on s’en va frapper dans la maison la plus proche pour essayer de trouver quelqu’un. Un homme nous fait signe et s’approche de nous. Il s’entretient quelques instants avec Andreï et nous invite à le suivre. En fait il faut traverser la rivière Tchoulychman pour se rendre sur le versant où se trouvent les champignons de pierre. Nous embarquons dans sa barque métallique et le moteur nous emporte vers l’autre rive. L’homme, après nous avoir déposés s’en retourne vers l’autre rive.

Et comme on le voit déjà sur cette photo, les nuages étaient très bas en ce petit matin de septembre. Et c’était bien à cette hauteur que se trouvaient les champignons de pierre… Nous avons donc commencé à escalader le versant qui menait à eux. Un versant pentu au bord duquel Andreï nous faisait remarquer au passage quelques plantes dont l’une, nous disait-il, était utilisé pour ses vertus médicinales. Il arrache donc quelques-unes dont la racine en rhizome se laissait plus ou moins extraire du sol. En goûtant on aurait dit de la réglisse, ces bâtons que les enfants suçotent dans les cours d’école. Plus haut, Andreï nous fait remarquer quelques pieds de chanvre dont il se pourrait bien qu’il soit de l’espèce qu’on ajoute parfois au tabac… Après nous être élevés d’une centaine de mètres, on a commencé à discerner à travers la brume les premiers champignons. En comparaison avec les photographies que j’avais vues, la vision qu’on en avait faisait piètre mine. C’était quand même rageant de trouver plus joli le paysage derrière nous que ces étonnants reliefs devant nous…

Devant nos pieds c’étaient cette plante dont je ne me souviens plus du nom, des plans d’absinthe et le chanvre qui ferait s’exclamer les amateurs !

Le sentier s’est ensuite considérablement raidi, il fallait lentement s’élever en longeant des troènes sauvages très abondants à l’approche des monuments érigés par la nature. Le principe de la création de ses monticules vient du fait que le sol était très friable et a été emporté par les pluies, excepté les parties se trouvant à l’abri que quelques pierres. Peu à peu le sol friable a été emporté par les eaux dans la vallée et les zones abritées et leurs chapeaux sont restés au niveau de leur origine, permettant d’évaluer la quantité de sol que les pluies ont emportée. Voici donc comment les plus proches des monticules nous sont apparus :

Décidément, nous arriverions jamais à ramener avec nous des vues identiques à celles que l’internet nous avaient permis de découvrir. Mais cette ambiance de brume avait quand même un charme étrange, - mais c’était une tout autre histoire… (460) (818)

J’ai essayé de m’élever le plus possible, franchissant quelques passages qui commençaient à devenir périlleux, surtout avec un appareil photo en bandoulière. Bien sûr que pour faire un magnifique cliché comme ceux que j’avais vus, il aurait fallu monter encore, dépasser la zone supérieure des champignons pour pouvoir les photographier avec la vallée en contrebas. Mais la brume devenait de plus en plus épaisse et parfois quelques gouttes de pluie laissaient envisager des conditions pires. J’ai fini par me résigner et redescendre la mort dans l’âme. Un peu plus bas, une jolie touriste me consola de ma déception en offrant un sourire à mes clichés de la matinée !

Nous nous sommes retrouvés un peu plus bas sous un abri. Il pleuvait. Andreï en profita pour sortir quelques petits gâteaux, un thé chaud et nous avons regardé passer les nuages en attendant une petite éclairci qui ferait au moins cesser la pluie. Vingt minutes plus tard nous étions à nouveau au bord de la rivière, attendant que notre passeur vienne nous récupérer. Les brumes commençaient à prendre de l’altitude, nous permettant de commencer à voir nos premiers champignons de pierre. Arrivés sur l’autre rive le soleil s’est levé ! Tout à coup les cimes s’éclaircissaient, la brume disparaissait ! Comme je le disais plus haut nous étions montés une heure trop tôt ! Comme quoi, l’avenir n’appartient pas toujours à ceux qui se lèvent tôt ! Du coup nous avons profité de la chaleur tombant de l’astre solaire pour nous refaire un petit goûter matinal sur une petite terrasse apposée à un arbre.

L’éclaircie n’allait pourtant pas durer. Les nuages semblaient bien trop attachés à la vallée pour laisser le soleil prendre possession du ciel et briller partout. Mais il arriva que nuages et soleil fassent bon ménage, comme ce cliché pris en route, alors que nous nous approchions du lac Teletskoïe.

Il nous a fallu encore plusieurs heures de ce mauvais chemin pour arriver sur les rives du lac. Néanmoins il nous arrivait de croiser quelques petits hameaux, parfois un village, et parfois quelques-uns de leurs habitants, dont ces deux jeunes garçons dont la tenue, pour une région si reculée, était fort respectable !

Ou encore une église orthodoxe avec trois charmantes coupoles bleues sur un édifice tout en bois.

Nous sommes finalement arrivés, avec un total de quatre heures de routes, sur les rives du lac Teletskoïe. La brume recouvrait les sommets et la surface du lac au loin. Le soleil cette fois ne se montrait plus. Nous sommes allés déjeuner dans le grand restaurant de la base de Kyrsaï. Le réseau téléphonique retrouvé, j’ai reçu un appel d’Eva, qui organisait notre après-midi de visite du lac, pour nous dire que le bateau avait été retardé par le mauvais temps et qu’il venait seulement de partir. Il était 14 h et nous avions rendez-vous à 15 heures pour la traversée. Le bateau est arrivé avec une heure de retard. On a compris pourquoi lorsqu’on a quitté le débarcadère. Le bateau sautait sur chaque vague et parfois retombait avec un bruit alarmant accompagné d’un choc très inconfortable. C’est souvent ainsi au début de l’automne, un vent souffle au début de la journée pour se calmer dans l’après-midi. Le résultat est que, pour ce genre d’embarcation, la navigation peut aller de difficile à impossible. Ce constat nous a amené, avec Nathalie, d’organiser ce voyage pour son agence non pas en septembre, mais à la fin du mois d’août. Dans la grisaille et ensuite sous la pluie, cette traversée n’a pas non plus été à la hauteur de nos attentes. La vallée de la rivière Tchoulychman est une zone météorologique sensible qui s’accommode mal au début de l’automne. Nous n’y viendrons plus à cette saison. Quant à cette journée, si nous nous étions levés une heure plus tard, en outre d’avoir pu photographier les champignons dans une période d’éclaircie, nous aurions en plus d’attendre pendant une heure le bateau. Mais il y a des événements impossibles à prévoir. Ceux-là étaient sans gravité, mais nous permettaient seulement d’envisager une chance que nous n’avions pas eu ! Sûr, l’année prochaine nous aurons un temps meilleur ! C’est d’ailleurs le but d’un voyage test : vérifier les hébergements, sélectionner les lieux, vérifier les temps de visite et tester si la période est favorable à l’organisation du voyage.

Après une heure de navigation contre le vent et sous la pluie (heureusement notre bateau était couvert !), nous sommes arrivés dans le village de Yaïliou où habite Eva et Andreï. Eva, malgré son prénom qui pourrait tout à fait être celui d’une jeune femme russe, est française. Originaire des Alpes, elle n’est pas si étrangère à ces habitats de montagne et, lors de ses études d’agronomie, elle a décidé de venir faire un stage dans la réserve d’Altaï qui se trouve à l’Est du lac Teletskoïe. Andreï quant à lui travaille dans la réserve comme guide, et voilà comment leur vie à deux a commencé. Eva est donc venue nous accueillir en bord de lac, face au petit village de Yaïliou. La spécialité du village est la culture des pommiers. Une activité qui avait failli disparaître et que finalement le tourisme a sauvée, donnant à toutes ces pommes qui attendaient preneurs (une partie des vergers étaient laissés à l’abandon) un nouvel avenir. Eva est une jeune femme pleine d’idée et de tonus. Elle est en outre fort sympathique et aime à raconter sa vie, son village. C’est extrêmement plaisant de l’avoir pour guide. Elle nous apprend par exemple que nous ne pourrons pas visiter leurs vergers car une alerte à l’ours a été donnée deux jours auparavant par un promeneur s’étant retrouvé face à une mère et ses petits. Il a donc rapidement grimpé sur un pommier et les ours, qui avaient assez à manger au sol, l’ont finalement oublié. C’est donc lui qui a donné l’alerte. Quelques jours plus tard le matériel de tournage infrarouge de la réserve a permis de surprendre une mère et son ourson en train de croquer le fruit défendu.

Nous avons quand même pu, et malgré la pluie, pu visiter un verger proche du village. En y allant nous avons pu contempler la petite église orthodoxe qui a été reconstruite récemment.

En rentrant à leur maison nous avons surpris la mère d’Andreï en train d’éplucher des pommes devant sa maison. Les beaux-parents d’Eva tiennent un café à la cascade de Korbo qui se trouve au milieu du lac. La cascade est un lieu très touristique qu’un bateau venu d’Artybach (station touristique au Nord-Ouest du lac) dessert de sa capacité de 200 places deux fois par jour. Le gène touristique était donc dans la famille et Eva s’est inscrite en digne héritière de cette activité. Elle fabrique d’excellentes glaces maison, un concept encore mal connu des russes puisqu’on ne trouve dans le commerce que des glaces industrielles. Et puis ils font aussi avec Andreï un délicieux jus de pomme avec des pommes de garde laissées sur les arbres jusqu’au premières gelées. Le résultat en est un breuvage très parfumé, peu acide et presqu’un peu liquoreux tellement le fruit a donné le maximum de maturité. Une belle réussite au goût très original.

Après la visite nous nous sommes installés à table. Au menu une soupe au poisson que les Russes appellent « Oukha », et ensuite un délicieux poisson frit qui est une espèce endémique du lac, une variété d’Ombre. Le dessert fut aussi un délicieux gâteau aux pommes et au chocolat ainsi qu’une glace bien sûr !

Le jour tombant, il nous a fallu quitter à regret nos hôtes. Nous aurions bien passé le restant de la soirée avec eux mais le bateau qui nous reconduisait n’était pas aussi bien équipé pour la nuit qu’une automobile. Nous sommes donc retournés sur la berge où nous attendait notre marin. Quand nous sommes arrivés à Artybach il faisait complétement nuit et nous avons eu un peu de mal à trouver où accoster. Finalement notre convoyeur nous a laissé sur une plage et il nous a fallu interroger quelques passants pour trouver notre hôtel qui se trouvait à une centaine de mètre de la plage. L’année prochaine nous saurons où accoster, l’hôtel comprenant un embarcadère ! Nous sommes allés au restaurant de l’hôtel boire une bière à l’occasion du dernier jour de découverte. Le lendemain sera le retour à Barnaoul et dans les plaines du nord de la région d’Altaï où notre équipe se séparera. Aujourd’hui nous étions encore au cœur des montagnes. Pendant que nous avalions nos bières deux espagnols sont venus discuter avec nous. Un beau moment à discuter du monde pour clore un voyage à l’extrême bout de l’Europe… culturellement parlant bien sûr, car géographiquement l’Altaï est la porte de l’Asie Centrale.

Une journée de temps gris se terminait donc, qui n’a pourtant pas réussi à nous gâcher la découverte de ces paysages majestueux, pleins de charme et de mystères, et où la vraie lumière nous est venue des sourires de nos hôtes, Eva et d’Andreï, auxquels nous rendons hommage avec cette photographie prise dans leur charmante salle à manger !

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18 et 19 septembre 2018 (7ème et 8ème jour) : d’Artybach à Barnaoul pour 24 heures.

Le matin, nous avions rendez-vous avec un chauffeur envoyé par Andreï et Tatiana qui devait nous remonter à Barnaoul. Nous avons donc traversé la zone montagneuse séparant le lac Teletskoïe de la ville de Gorno-Altaïsk, où nous avons rejoint la Tchouïsky Trakt. Encore beaucoup de brume en cette matinée, ce qui ne donne pas vraiment envie de photographier. De plus, ce chauffeur n’était pas là pour nous faire visiter la région mais bien pour nous convoyer à Barnaoul. Il nous a d’ailleurs compté un supplément de 30 euros du fait de la pause que nous avons faite à Strotsky, le Village natal de l’écrivain, acteur, cinéaste, Vassili Choukchine. J’ai déjà réalisé une page sur Choukchine dans le blog des Carnets de Sibérie. Ce n’était qu’une pause déjeuner, qui n’a d’ailleurs rien à voir avec l’écrivain, et qui nous a coûté plus cher qu’une visite de la maison natale de l’écrivain. D’ailleurs ces 30 euros ne sont pas si importants, ils n’ont été que l’occasion d’évoquer Choukchine en passant, l’air de rien, lui qui est universellement connu des Russes et tout aussi universellement inconnu des Français !

A Biïsk nous traversons la rivière Biïa qui vient comme nous du lac Teletskoïe et, juste après le pont, nous apercevons le bâtiment en briques du musée de la Tchouïsky Trakt dont j’ai aussi parlé dans une page de blog des Carnets de Sibérie. Une lecture de cette page permettra aux nouveaux arrivés dans ces blogs altaïens, de comprendre un peu mieux la situation et l’Histoire de l’Altaï.

Enfin nous sommes arrivés à Barnaoul. Il est à noter que depuis Biïsk les nuages s’étaient levés et qu’il s’était mis à faire très beau. La météo n’est donc pas homogène partout en Altaï, et il semblerait même que le lac Teletskoïe soit une zone sensible, facilement nuageuse, dont la visite se fera de préférence en été. Beaucoup de jeunesse dans les rues de la capitale du kraï de l’Altaï. Les étudiants sont rentrés dans les instituts et les universités et profitent des pauses pour aller évidemment poser devant les objectifs des copains et copines. Une fascination des humains pour les images d’eux-mêmes que ne partagent visiblement pas les animaux !

Le lendemain matin Nathalie avait décidé de visiter quelques musées, afin de peaufiner le voyage qu’elle offrira l’année prochaine à ses clients. Je l’ai retrouvée au musée de la pharmacie, prenant un peu de soleil pendant qu’elle terminait la visite. Un petit tour ensuite au musée régional de l’Altaï, dont j’ai parlé longuement dans les Carnets de Sibérie, et nous sommes ensuite partis nous promener sur le promontoire entre l’Ob et la ville. Il est évident que la ville a décidé de faire de l’ensemble du bas de la ville un lieu de promenade et de loisir. A chaque fois que je viens à Barnaoul, je découvre ici quelque chose de nouveau. La dernière fois l’église était en construction, il n’y avait pas de chemin, pas d’escalier. Cette fois c’est un parfait lieu de promenade que j’ai découvert, avec des allées pavées et bordées de barrières, éclairées le soir de luminaires décoratifs et une église terminée face à une petite place pavée et des allées très soignées ! Un colossal investissement prêt à accueillir les citadins et les touristes ! En contrebas, à côté de l’immense voûte du marché couvert en rénovation, la rue qui le borde a aussi été entièrement rénovée et offre un aspect très engageant.

C’est donc bien en bas de la ville, là où se trouvent l’Ob et la vieille ville, que la commune investit pour recevoir dignement visiteurs et citadins. La promenade y est très agréable et le soleil souvent au rendez-vous ! Il ne manque plus que la vue de bateaux de croisière dans le port fluvial à proximité. Cela viendra certainement car les sorties sur le fleuve d’Ob est un véritable plaisir.

Et voilà que notre voyage se terminait. Nous allions bientôt rentrer à Novossibirsk où Nathalie devait encore faire quelques visites. Ensuite ce serait le bilan du voyage, la préparation d’un programme pour son agence à la fin du mois d’août de l’année prochaine. Espérons que ses clients auront la curiosité de venir voir les merveilleuses montagnes de l’Altaï. Quant à nous, nous proposerons un voyage présentant les sites de ce voyage en juillet. Il s’appellera « l’Altaï Multiculturel Est » et sera proposé sur notre catalogue cet automne. En tout cas merci à Nathalie de nous avoir permis d'approcher ces merveilleux endroits. Bien sûr, nous les connaissions presque par cœur sans les avoir jamais visités. Cette confrontation au réel nous a permis d’affiner la vision que nous en avions, concernant notamment les temps de visite, les temps des déplacements, ainsi que quelques contraintes de calendrier. Bien sûr, une visite virtuelle n'arrivera jamais à être si convainquante qu'une visite avec tous ses sens. Mais c'est encore meilleur, croyez-moi, lorsque l'on a pu auparavant vous en donner l'eau à la bouche. J'espère que ce blog aura réussi à vous donner un avant-goût de voyage et, pourquoi pas, à vous décider de nous accompagner l'année prochaine !

De retour à Novossibirsk, l’automne nous précipite dans une série de démarches qui vont nous mener rapidement à l’hiver. D’abord l’obtention d’un nouveau statut pour le Directeur de francaisensiberie, qui d’une autorisation provisoire de séjour, va convoiter une véritable carte de séjour, avec des droits égaux aux citoyens russes. Le 15 octobre nous espérons que tout sera terminé avec succès. L’épreuve majeure étant l’obtention d’un examen de langue, d’Histoire, de culture, et surtout, de législation russe ! C’est l’objectif immédiat dès l’écriture de ce blog terminé ! Ensuite, nous travaillerons à la création de l’entreprise francaisensiberie et l’obtention d’une licence de tourisme. Pour cela nous aurons besoin de vous et lancerons, vers le début novembre à une opération de crowfounding permettant d’acheter la licence. J’espère donc que vous serez à nos côtés pour ce moment crucial de notre projet ! En attendant, je vous souhaite un bon début d’automne, avec un reste d’été indien pour regarder l’automne venir avec le sourire !

RETOUR SUR LE SOMMAIRE DU VOYAGE EN ALTAI - du 12 au 19 septembre 2018

1ère journée - de Barnaoul à Tchemal 2ème journée - de Tchemal à Karakol
3ème journée - De Karakol à Koch-Agatch 4ème journée - Dans les environs de Koch-Agatch
5ème journée - De Koch-Agatch au col de Katou-Yaryk 6ème journée - Du col de Katou-Yaryk au lac Telestkoïe
7ème et 8ème jour - d’Artybach à Barnaoul pour 24 heures.

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